Tuesday, April 24, 2007

Christophe XI

Au moins, je crois encore qu’ils m’aiment. C’était ça qui m’a fait pleurer. Qu’ils m’aiment encore malgré tout. Malgré ce que leur fille a fait de la vie qu’elle s’était fabriquée selon leur modèle. Malgré le fait qu’elle aie tout balancé. Le mari, les enfants, la famille, la maison, et hop, elle-même n’a plus jamais été la même après ça, quelle colère elle a piqué, tout le monde s’en souvient encore, le téléphone fracassé sur le mur de la cuisine, les chaises en mille morceaux dans la porte-patio, la chemise de Rose déchirée et puis les cris, les hurlements, les pleurs et la frayeur de ma mère, le calme exécutoire de mon père, et puis les flics, cognant à la porte, bonjour madame, tout va bien ici? Foutez-moi le camp de chez moi putains de salopards de connards de merde vous n’avez rien à foutre ici! Calmez-vous madame, nous voulons vous aider, Je vous emmerde tous, vous n’êtes que des menteurs, des tricheurs et des assassins, tout ça n’est que mensonge, rien n’est vrai, tout est faux, cette vie que j’avais si habilement élaborée s’est révélée n’être qu’un cirque joué par des clowns et des singes à chapeaux, je vais tous vous éliminer, vous faire disparaître, un à un, ça y est, je panique, je fait une attaque d'angoisse, Christophe me tend une boite de mouchoirs, attends que j’essuie mes larmes, oui-oui, c’est bon, je me calme, je vais bien, c'est fini, qu'il me dit, puis, m’aide à enfiler mon manteau. Tu es prête? Je lui fais un oui de la tête. Je n’ai jamais été aussi prête de toute ma vie.

Avant de pousser la dernière porte qui nous sépare de la froidure, Christophe revêt ses gants, puis enfile un long manteau de laine noir. Je passe mon écharpe par-dessus ma tête et l’enroule autour de mon cou. Je le regarde sortir les clés de sa poche puis s’emmitoufler comme il faut, puisqu’il est comme ça, Christophe, très comme il faut, c’est le gentilhomme chic, première classe s’il vous plaît merci, son accent parisien à couper au couteau ne trompe pas. J’adore les européens. Tellement classe. Ils me transportent tellement loin de chez moi. J'en oublie qui je suis. Allons-y, je suis prêt, il pousse la porte, me laisse passer devant, encore affairée avec cette écharpe autour de mon cou, referme derrière nous et verrouille les deux serrures. On n’est jamais trop prudent dans ce quartier ma mignonne, puis nous nous engageons sur la rue Laurier, direction ouest, main dans la main. Gantées, of course.

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