Tuesday, April 17, 2007

Christophe X

Prise de court, je n’ai rien répondu tout de suite, mais mon mutisme et mon regard hébété en disaient long. Il s’est rapproché de moi, m’as pris la main et m’a regardé d’un air compatissant, comme pour me dire je sais, petite, là, là, ça va aller maintenant, tu peux en parler, je suis là pour te comprendre, je vais t’écouter, tu peux tout me dire. Laisse-toi aller. Je ne sais pas, moi, Christophe…mon père, je n’y pense pas vraiment, il a toujours été là, à la surface des choses, à régler ce qui se voit, ce qui est évident, un toit pour nous, la bouffe, le pourvoyeur, quoi, et moi, sa fille, tout au fond des choses, puisque je le pouvais, rien ne m’a jamais empêchée de descendre plus bas, j’ai toujours été curieuse, et je n’ai jamais eu froid aux yeux, tout le contraire de ma mère, non, attends, c’est moi qui ne veut pas voir, mon père s’occupe de ma mère, et ma mère ne s’occupe de rien, c’est-à-dire des choses qui sont toujours à recommencer, celles qui ne se comptent pas, elle s’occupe de tout et elle ne fait rien, ma mère, elle fait du sur-place et elle déteste ça, parce que ça la rend invisible à tous sauf aux yeux de mon père, et elle l’aime, elle l’aime tant de la voir pour tout ce rien qu’elle représente, alors elle reste, ma mère. Elle reste et moi je voudrais qu’elle parte, qu’elle nous quitte, pour me montrer comment on fait, comment fait une mère pour partir sans cesser d’exister, sans mourir, tu m’as demandé de te parler de mon père et bien voilà, c’est ça, entre mon père et moi, il y a une mère, cette mère qu’il aime et que moi je déteste, que je voudrais voir partir pour que je puisse commencer à être, cesser d’être une mère, la mère de ma mère, ne serait-ce que pour exister dans le regard de mon père, là où ma mère ne serait plus.

Ce sont mes parents, après tout. C’est tout. Ce n’est pas de tes affaires. Ne me parles pas de ça, Christophe, je ne voulais pas et pourtant je t’ai laissé m’entraîner là ou je n’avais pas envie d’aller. J’ai versé quelques larmes sans trop savoir pourquoi, inspiré à fond, puis, éclaté en sanglots. Comment fait-on pour exister dans l’absence du regard d'un père? Des pleurs beaucoup trop violents pour une blessure dont je prétendais ignorer l’existence. Tu n’as pas besoin de me répondre, je ne veux surtout pas que tu pleures. Trop tard Christophe. Je voulais bien, moi. Et puis maintenant que tu me regardes, c’est beaucoup plus facile. Bon, oui j’ai pleuré, pas beaucoup, mais c’est toi qui a ouvert la porte, et profité de l’occasion pour m’ouvrir les bras. C’est ce que tu voulais, non? Tu as tout mis en place, tout était là. Allez, pleure, ça va te faire du bien, là, là, je suis là, C’était si bon de pleurer, je n’ai pas eu besoin d’un prétexte mais seulement d’un lieu, et puis ce n’était pas pour les raisons que tu croyais, l’intransigeance de mon père et l’inertie de ma mère, mais moi, j’y crois encore. Je suis encore aux prises dans ce triangle. Il me semblait que nous nous éloignions du sujet mais je ne me souvenait plus du tout de quoi nous parlions, Christophe a fixé le vide pendant quelques secondes, jeté sa cigarette dans le feu puis a regardé sa montre, on doit se dépêcher, notre table doit être prête à l’heure qu’il est. J’ai baissé les yeux pour fixer le plancher de bois et mes orteils qui se tortillaient dans mes bottes. Je crois bien que j’ai fait une maille dans mes bas.

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