Je regarde, et oui, à voir l'air de Christophe et l'assiette posée à ma place, il semble bien y avoir une surprise pour moi à table.
Tuesday, June 19, 2007
Christophe XVII
Je regarde, et oui, à voir l'air de Christophe et l'assiette posée à ma place, il semble bien y avoir une surprise pour moi à table.
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Friday, June 08, 2007
Christophe XVI
Je me rends discrètement à la salle de bains, l’air nonchalant. Avant de pousser la porte, je te jette un coup d’œil discret. De plus près, je distinguerais une lueur d’excitation dans tes yeux; je me plongerais dans ton regard à la fois timide et frondeur, d’un bleu sombre et glacial nuancé d’ambre chaleureux, près des pupilles, là où personne ne l’a remarqué. Sauf moi. J’aime t’observer lorsque tu ne le sais pas. Autrement, tu ne me laisses pas faire. Alors je dois le faire en cachette. À ton insu. Je me transforme en voyeuse invisible afin de me raconter une histoire. La tienne, celle de mon amant cosmopolite en exil depuis des lunes. La mienne, celle de l’écrivaine undercover à découvert.
Tu m’attends à notre table, en terminant le vin. Le serveur t’a remis une copie du menu afin que tu puisses y consulter la carte des desserts. « Fais-moi une surprise! » t’ai-je dis avant de me lever de table. Menu en mains, tu as l’air de me choisir avec attention une sucrerie qui devrait faire mon bonheur.
Si tu savais ce que je lis dans tes petits gestes anodins et ta façon de bouger. Avenant, délicat, prévoyant. Entre les lignes de ton accent parisien, à peine affaibli par vingt ans de conversations montréalaises, je te devine toujours étranger. Tu es ici chez toi, je le vois bien. Tu aimes les gens, leur familiarité attachante, le langage coloré. Les affres de l’hiver trop long te laissent de glace, t’importunent moins que la majorité des québécois. Chez toi, ce n’est pas ici. Enfin, pas tout à fait. Par tes sourires maladroits adressés aux étrangères qui croisent ton chemin, tu laisses des traces invisibles mais bien réelles. Dans ces moments, tu es vulnérable et beau; ton corps exprime ta manière discrète d’être au monde, sans pour autant t’effacer de l’espace que tu habites. « Garçon! » Tu appelles le serveur, l’index bien levé afin de ne pas passer inaperçu. Personne n’appelle plus les serveurs « garçons » de nos jours. Enfin, pas à Montréal. Il te voit immédiatement et se dirige vers toi, une pile de menus sous le bras. Tu lui demandes quelque chose, il fait oui de la tête et te remet un menu. En le remerciant, tu lui fais sûrement une remarque spirituelle, puisque vous riez discrètement tous les deux. Il termine le vin en le partageant dans nos verres respectifs avant de repartir avec la bouteille vide, toujours souriant.
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Monday, June 04, 2007
Christophe XV
Je les trouve mignons. Je ne les envie pas. J’ouvre le menu à mon tour.
Alors que j’hésite entre la mesclun et la césar, je te raconte la saynète qui se déroule à quelques tables de nous, pendant que tu faisais la lumière sur les zuppa et les antipastos. Tandis que les mots s’échappent de ma bouche et que tu les captes des yeux, les serveurs s’affairent à garnir les corbeilles à pain, remplir les verres d’eau glacée, et moudre du poivre en grains au-dessus des assiettes fumantes. Tu me regardes, touché par ce petit récit impromptu et attendri devant mon sens de l’observation aiguisé et interprétatif. Tu me demandes doucement si je veux du vin chérie, et mets ta main sur la mienne. Nos doigts se croisent sur la table, entre la baguette et le plat d’olives noires. Oui, une pleine bouteille darling car je ne fais pas les choses à moitié et tu détestes les demi-mesures.
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Wednesday, May 30, 2007
Christophe XV
Avant que tu ne puisses t’asseoir à ton tour, un jeune serveur se dirige vers notre table avec des menus recouverts de cuir noir aux écritures dorées sous le bras. Il se déplace au ralenti, ses chaussures seraient doublées de guimauve que je n’en serais pas surprise; il salue au passage un jeune couple dont la femme est enceinte jusqu’aux oreilles, et s’arrête près de nous. Un sourire imbécile mais heureux est plastronné sur son visage, et son regard semble s’évader au-dessus des clients. Peut-être est-ce un petit pétard grillé avec le cuisinier quelques minutes plus tôt qui le rend si baba cool. Bonsoir bienvenue chez Senso’s, le meilleur endroit en ville pour manger straticella, pastas, ansalata et tutti quanti, Marcello pour vous servir, qu’il nous dit, cabotin. Peut-il nous servir un apéro, certainement tu lui réponds, ce sera Pernod pour monsieur et Pineau pour madame, parfait merci qu’il dit et nous souhaite une bonne soirée. Marcello se dirige machinalement vers le bar. Tu me regardes d’un air complice et je te fais un clin d’œil. Nous savons tous les deux qu’il en sera ainsi. Une excellente soirée. Tu retires le chewing-gum de ta bouche, le roule en petite boule symétrique, la colle dans le cendrier, puis t’assied en face de moi. De l’autre côté de la vitrine, des passants transis de froid nous regardent et envient la chaleur et les odeurs réconfortantes qu’ils imaginent mais ne peuvent sentir.
Le resto est bondé. Les gens sont bruyants, quelques-uns sont enivrés. Certains parlent et rient la bouche pleine de carpaccio et de fettucinis Alfredo, d’autres servent du Chianti à leurs voisins de table en éclaboussant les nappes blanches. À ma droite, se trouve un couple dans la jeune vingtaine. Je tourne discrètement la tête en leur direction, jambes croisées. Tu ouvres ton menu et en débute la lecture en plissant les yeux; puis-je te remettre tes lunettes certainement baby. J’attrape mon sac à main sur le dossier de ma chaise, en retire tes lunettes. Je les dépose sur la table. Marcello arrive et dépose un verre de Pineau devant moi, se retourne vers toi et s’excuse ne plus avoir de Pernod, ce n’est pas très en demande ici, dit-il, confus, et te propose un martini. Non, dis-tu en grimaçant, non non, apportez-moi plutôt le vin tout de suite, un merlot Domaine de Ravanes 2000. Je fixe à nouveau le couple, tu souris en me voyant faire, et retournes à ton menu.
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Sunday, May 27, 2007
Christophe XIV
Devant chez Senso’s, alors que tu allonges le bras pour agripper la porte, je te tire contre moi. Mais qu’est-ce que tu fais Sophie, dis-tu en rigolant, merde, on se les gèle, rien du tout, je veux seulement t’embrasser avant d’entrer, ai-je besoin d’une raison, j’avoue, c’est un comportement suspect à vingt degrés sous zéro, alors que de l’autre côté de la porte il fait chaud et bon; si tu veux tout savoir, Christophe, je suis superstitieuse, alors embrasse-moi vite il fait froid pas le temps d’y penser et tâche d’en avoir envie. Nos manteaux et nos gants se frottent dans un bruissement sec et sourd. À la lumière du réverbère au dessus de nous, je remarque tes lèvres gercées. Je ferme les yeux, j’ouvre à peine la bouche et impose mes lèvres sur les tiennes, et je ne sens rien, l’épaisse couche de rouge à lèvres qui recouvre ma bouche m’en empêche. Une larme de froid glisse sur ma joue jusqu’au col de mon manteau, traçant un sillon sur mon visage, démaquillé d’un trait de caractère.
Tu me laisses faire, ravi de mon impatience malgré le froid agressant. La chaleur mentholée de mon souffle emmêlé au tien embrume tes lunettes. Tu m’embrasses à ton tour, me mordillant gentiment le bout de la langue. Je goûte ta cigarette grillée en vitesse tout à l’heure, chez toi, avant de partir. Tu souris triomphalement, le reste de ma gomme entre les dents. Tu as ce don de me soutirer le peu qui me reste avec tant d’aisance; je suis avalée d’un seul trait, consentante dans un mutisme que même le froid perçant ne saurait faire crier.
J’en serais effrayée si ce n’était pas de ma confiance aveugle en toi. Je retire gentiment tes lunettes givrées et les glisse dans mon sac à main, donnant à voir ton regard candide mais toujours voilé. Tu tapes ton index ganté sur le bout de mon nez, le glisse à ma bouche. Mignonne je suis dans la froidure tu trouves, et tu élances à nouveau ton bras vers la porte, cette fois déterminé à entrer. Pressé de retrouver la chaleur, tu pousses la porte d’un coup sec, créant une bourrasque polaire dans le portique du resto. Tu m’aides à retirer mon écharpe, mon manteau et mes gants, tu fais de même, et je presse ensuite mes mains contre tes joues afin qu’elles se réchauffent. La ravissante hôtesse nous accueille avec un sourire trop lumineux pour être vrai. Elle te reconnaît. Tu l’appelles par son prénom. Un bonsoir monsieur exagérément révérencieux désamorce ton envie de la séduire à nouveau, tu n’es pas seul, quand même, et t’incite à détourner le regard. Je vois bien que cette femme ne t'est pas inconnue; elle te fait les yeux doux, te souris, touche légèrement ton épaule afin de te diriger vers ta table, et me regarde d’un air méprisant, sans que tu ne la voies. Moi je l’ai vue. Elle a de longs cheveux noirs, probablement italienne, plutôt jeune. Plus jeune que moi. Elle porte une robe au décolleté plongeant, et déambule élégamment chaussée de magnifiques Manohlo Blahnik. Ce n’est certainement pas avec son salaire d’hôtesse qu’elle peut se payer ce genre de luxe. Un des ses petits amis mafieux doit les lui avoir offerts, ou encore pire, papa mafieux lui en a apporté une cargaison en direct de New-York, petite salope, je la déteste déjà cette pétasse. Discrètement, je prends ce qui reste de gomme dans ma bouche et le lui lance dans la chevelure alors que je la suis. Oops! Elle nous conduit à une table près de la fenêtre, à ta demande et mon acquiescement, où nous pourrons observer pendant le repas les passants frigorifiés de l’avenue Laurier et la clientèle de Senso’s à notre guise. Ça vous va, ici, Monsieur Christophe? Qu’elle te dit, oui, c’est parfait, que je lui réponds, sèchement, et je lui adresse mon plus beau sourire de vache triomphante. Elle fait un signe de la tête, lève un sourcil en accent circonflexe et nous souhaite une bonne soirée. Galant, tu tires ma chaise et je m’y assieds en soupirant d’aise.
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Monday, May 14, 2007
Christophe XIII
Manger.
J’ai faim.
Je pourrais avaler n’importe quoi.
Afin de tromper mon estomac, je déchire du bout des dents un morceau de ma gomme et l’avale rapidement, au rythme de nos pas. Trop vite tu marches, attends, et j’ai failli m’étouffer.
Si étrange, cette relation toute neuve partie sur les chapeaux de roues. Si puissante. Elle exige de moi plus que je ne peux donner. Je me laisse guider, j’en avais assez de tout faire, de réfléchir à tout, j’ai tout gâché, j’ai tout gâché, j’abdique et je me rends, et Christophe a le don de me prendre en charge, je n’ai rien à faire et c’est délicieux, délicieux et effrayant à la fois, peut-être est-ce moi qui exagère la force entre nous, c’est le droit des écrivaines, l’exagération, la mise en scène, l’overdramatization, mais c’est fascinant, je me vois, je me regarde agir et je sais, je sais que je suis attirée par ce qui m’effraie, et je continue. Je commence à peine à marcher seule, et voilà que je me retrouve déjà, volontairement dois-je te le faire remarquer, aux côtés d’un homme qui se plait à se rendre indispensable. Je me crois invulnérable parce que c’est moi qui décide de plein gré d’abdiquer les commandes; tu vois, j’ai fait un bout de chemin, déjà et encore, je suis toujours soumise mais cette fois c’est ironique, et ça me fait rire à défaut d’en pleurer. Oui je le veux, je-le-veux-je-le-veux, et je joue le jeu. Moi, si indépendante de nature mais dépendante de torture. Mon masochisme aura raison de moi, de nous deux, j’en ai bien peur. Notre relation, parce que s’en est bien une, et j’ai dû argumenter des heures avec toi pour que tu finisses enfin par l’admettre, souviens-toi, oui, Sophie, c’est bien une relation, j’ai réfléchi et tu as raison, peu importe la façon dont on regarde la chose, force est d’admettre que nous entretenons bel et bien une relation, amis/amants, homme / femme, si-si , tu as raison, toi et moi, nous sommes en relation, que tu le veuilles ou non.
On se connaît à peine, pourtant, on se reconnaît. Je reconnais que tu refuses de me connaître. Je refuse d’admettre que je te connais. Quelle connerie. Beaucoup trop jeune pour moi, mais ça ne fonctionne pas comme ça, m’as tu dis du même souffle en souriant, lorsque je t’ai demandé si tu étais mon chum, tout à l’heure. Je suis assez intelligente pour savoir que ça ne se passe pas comme ça dans la vie, mais que dans la réalité, dans ces histoires que je me raconte, c’est autre chose. Les chiffres sont dorénavant les seules choses sur lesquelles je peux compter. Combien je reçois de pension alimentaire par mois. Combien de jours par semaine les enfants voient leur père. Combien d’amants sont entrés puis sortis de mon lit depuis que je suis séparée. Combien de fois j’ai eu envie de faire l’amour avec toi depuis que je te connais. Combien de gens assistent métaphoriquement à la représentation de nos scènes élaborées de baise dans ta chambre. Combien de gens me regardent écrire ce livre depuis que je l’écris. Combien d’amis me délaissent depuis que j’écris. Combien de femmes sont en moi depuis ma séparation. Combien, combien, je n’arrive plus à savoir sur qui je peux compter à force de tenter de déchiffrer. Combien de rencontres avec ma thérapeute pour démêler tout ça. Finalement, tu n’as jamais répondu à ma question, ni moi à la tienne.
Trop jeune pour toi?
Non. Pas vraiment.
J’ai eu le temps d’y penser.
M’en fiche.
Vraiment, je m’en fous.
C’est toi qui est trop jeune pour moi.
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Tuesday, May 08, 2007
Une lettre au miroir

Chère amie,
Ginette Reno chantait :
Ça va mieux, ça va mieux
Je ne pense presque plus
À nous deux, à nous deux
Ça m'a pris du temps c'est vrai
Ce n'est pas encore ça mais
Ça va mieux, ça va mieux
Je n'ai plus besoin de toi
Ou si peu ou si peu
C'est moins fragile que l'on pense
Un cœur en convalescence
Ma chérie... Tu es en sevrage émotif... Et ça, c'est une conséquence de la dépendance affective. On devient dépendante affective quand ce qu'on ne peut pas obtenir prend toute la place dans notre vie, jusqu'a nous obséder, nous rendre folle, irrationnelle, dépressive. C'est un cercle vicieux duquel il est très difficile de sortir. Crois-moi, je sais de quoi je parle. Alors on compulsionne. Dans la drogue, l’alcool, la bouffe, (surtout les mets chinois) le cul. Moi, ma compulsion de choix, ce sont les hommes. Dans le plus fort de ma dépression, j’ai croqué amant par-dessus amant afin de combler ce gouffre de moi qui m'avalait de plus en plus. Tu sais, ce trou immense qui ne se remplit jamais? (Un jour, je m'y suis aventurée. Voici ce que j'y ai trouvé : une estime de moi plus que déficiente; un manque d'affection chronique; un grand besoin d'être admirée; un sentiment d'impuissance plus dévastateur que la bombe H; une mère me disant « Va pas dehors, le monde est méchant! Dangereux! » Un père réalisant à 55 ans que ce n'est pas en suivant les règles qu'on gagne au jeu; une tonne de livres hyper intéressants que je n'ai pas encore lus et une paire de sandales plate-formes à lacets de cuirs vernis qui me branchent en crisse.) Alors je baisais avec (tiens, lui là-bas) et je croyais que je me sentirais aimée, que le vide serait moins vide. HAAAAAAAAAA!
Bizarrement, c'est le contraire qui se produisait. Je me sentais encore plus nulle. Alors je recommençais. Ca m’a pris du temps avant de comprendre; quand on a des tendances masochistes, on se demande longtemps pourquoi on se fait mal et quand on le trouve, on se dit : Pourquoi arrêter? Avoue que c'est tentant : Croire, l'espace d'une nuit (ou d'un après-midi, ce qui était souvent mon cas) que quelqu'un va nous aimer et qu'à travers ce corps à corps dépourvu de sens, on sera enfin COMPLÈTE. ppppppppprrrrrrrrrrrrtttttttttt!!!!!! (Ca, c'est le bruit d'une grimace lente et juteuse.) BULLSHIIIIIIIT!!!!
Et je ne t'apprends rien en te disant que le sevrage, ça fait mal jusqu'en dedans des tripes; on finit même par croire qu'on va en mourir. Et surtout, ne pense pas que j’arrive à t’en parler de façon détachée; on est toutes la-dedans, dans ce rapport latent de dépendance affective, jusqu'au cou, et même quand on croit s'en sortir, voilà qu'on y retombe. C'est pour ça qu'on a besoin de ses copines pour se rappeler qu'on peut se suffire à soi-même, sans hommes... mais... on a TOUJOURS besoin de ses amies!!!!!
Je te comprends. On a beaucoup de choses en commun, toi et moi, qu'on a vécues de façon différente, sur des chemins de vies parallèles. Avec des hommes qui semblent diamétralement opposés mais qui se rejoignent sur bien des points. Ce vide que nous ressentons, nous le comblons avec l'écriture, la photo, la peinture, la danse, whatever. Si on a pas ça, Nath, on meurt, c'est tout. Et pour être morte, pas besoin que le cœur cesse de battre; j'ai été morte pendant 3 ans, et ce, même si j'ai donné la vie. Étrange, non? J'ai parfois l'impression que d'avoir donné naissance à mon fils m'a à la fois tuée et fait renaître. Faudra que j'explore ça à un moment donné.
C'est bien que tu aies téléphoné à James. Il te fait sentir bien, parce qu'il aime être avec toi et qu'il ne te demande rien. Juste d'être toi. Ca suffit. C'est beau, l'image que j'ai de toi marchant dans la neige avec cet homme qui te tient la taille. Il te trouve belle, et tu ris. C'est vrai que tu es belle quand tu ris. Il y a chez toi cette beauté tragique, un mélange de poussière d'étoile et de reflets des ténèbres. Une princesse / sorcière envoûtante. Un soleil noir.
Moi non plus je ne sais pas ce que je vais faire.
Moi aussi je me sens paralysée.
Moi aussi j'ai besoin de toi.
Accroche-toi, glisses pas, Hang on!
Je suis là.
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Wednesday, May 02, 2007
Christophe XII
Nous nous immobilisons en attendant le feu vert. Près de nous, une enfant tient la main d’une femme qui pourrait être sa mère, et elles attendent toutes deux que le feu rouge vire au vert. La petite lève les yeux et m’examine des pieds à la tête, regarde mes longues bottes noires, mon long manteau de cuir noir, puis, mes cheveux noirs. Je vois bien une certaine frayeur dans son regard ainsi qu’un point d’interrogation au-dessus de sa tuque à pompon et je lui adresse un léger sourire, question de la rassurer un peu. Je ne suis pas méchante, petite fille. Il faut dire que j’ai l’air un peu inquiétant dans les yeux d’une enfant dont la mère ressemble à la mienne, ainsi affublée. Samedi soir à Montréal, on se les gèle, tout le monde est emmitouflé jusqu’aux oreilles, Christophe y compris. Moi, je suis de cuir noir vêtue avec sur la tête une écharpe nouée me donnant un look à mi-chemin entre l’antithèse de la vierge Marie et une conductrice de décapotable ne voulant pas être décoiffée par ses excès de vitesse. Encore pire, je ressemble à une starlette américaine venant de s’échapper d’un plateau de tournage d’un remake de « La Matrice ». C’est peut-être la fascination qui se dessine dans les yeux de la petite fille. Oui, tiens, je suis Thelma, la délinquante de Thelma & Louise, version hard-core. J’ai réussi à échapper à la justice américaine, ma décapotable s’est posée de l’autre côté du Grand Canyon et je me terre maintenant à Montréal, en plein hiver, et je cherche maintenant une autre Louise à émanciper, à protéger, et à mener tout droit dans le vide. Thelma la traquée, la vengeresse, la gardienne. Tu veux être ma Louise, petite fille? Dans ma camaro, je t’emmènerai, et je te jure, t’auras le droit d’être belle, de danser, de t’amuser, et de ne pas avoir peur quand je te conduirai à toute vitesse vers le précipice. Je ne laisserai personne te faire du mal. Non, personne ne va te tuer, petite fille que j’effraie. T’inquiète pas. Je deviendrai assassine pour que tu n’aies pas à te faire meurtrière. Je tuerai dans l’œuf s’il le faut, pour te protéger. Je te montrerai comment faire.
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Tuesday, May 01, 2007
Behind the glass

La session est déjà entamée, du moins dans la réalité (l'amorce est beaucoup moins concrète dans ma tête, mais bon, j'y travaille très fort...) et je manifeste l’intérêt et le désir sincère de travailler sous ton égide à la maîtrise en création littéraire.
J'ai bien évalué la situation, évoqué la possibilité de travailler sous la supervision d’autres professeurs émérites, mais personne ne semble coller d’assez près à moi, et rien ne me semble plus logique et excitant que la perspective de pouvoir compter sur ton savoir, ton expérience et ta grande sensibilité pour mener à bien mon projet d'écriture.
Évidemment, je veux travailler avec une femme, cela va de soi. Je veux travailler en terrain connu. J'ai beaucoup lu cet été (pas autant que je l'aurais voulu, c'est vrai, mais bon... je crois que je n’arriverai jamais à répondre à mes propres exigences personnelles qui relèvent toujours de l'impossible, sinon comment se veulent toujours ) et mon projet semble prendre forme, les morceaux du casse-tête s'emboîtent petit à petit et donnent l'impression qu'une image plus claire se formera sous peu... Mon projet se veut une écriture du soi, de l'Autre, et de tout ce qu'il y a au milieu. Une écriture de femme, sans conteste. Bien des ellipses sont tendues entre les écrits de femmes; à tel point que c'est étourdissant, stupéfiant. Je suis sous le choc presque à tous les jours.
Je suis actuellement dans un tourbillon émotionnel difficile à supporter; je pleure, je ris, je fuis, j'ai peur, je crois que ma notion du temps et de la réalité en est dangereusement affectée. Je n’en peux plus, je profite de la semaine de lecture pour prendre la fuite vers San Francisco dimanche matin, au lendemain de ma cérémonie de graduation de Bacc. Je vais rendre visite à une copine que j’ai rencontré cet été aux Iles Turquoise; n'est-ce-pas génial?
Je n'ai plus le temps d'écrire, ni la capacité; en fait je t'écris en ce moment et je réalise que je le fais sans trop y penser, ce n'est donc pas de l'écriture pour moi. L'écriture, ça doit être difficile et douloureux pour que ça compte. C'est un spectre qui s’empare de moi sans me demander la permission et qui s’exorcise de lui-même sans avertissement. L'état d'urgence dans lequel je me trouve me fait trembler et douter de tout-tout-tout. Normalement, le doute fait avancer, mais moi, il ne me fait que stagner!
Je sais, je sais...
Je panique pour rien. Du moins, c'est ce que je veux t'entendre me dire. Je me sens bien seule et inutile, et un petit mot de ta part me sera bénéfique et encourageant.
À bientôt, j'attends de tes nouvelles.
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Monday, April 30, 2007
The world is my pork chop
demande de ne pas t'écrire.
Dans un café Internet, San Francisco, octobre 2003
Je ne supporterais pas d'être à la maison, affligée d’une maladie dont j’ignore le nom, dont je suis seule à connaître l’existence. Et même si je le savais, si je la connaissais comme elle semble me connaître, je ne pourrais pas la nommer, je ne pourrais que l’écrire. Je ne supporte pas d'être loin des enfants, ils me manquent. Pourtant, je ne supporterais pas non plus d'être avec eux, ils seraient de trop. Beaucoup trop encombrants dans une peine qui ne les concerne absolument pas, que leur présence colorerait d’une teinte coupable qui déplacerait en moi ce que j’ai à traverser seule. Je n'ai qu'une envie, rester ici, sur cet écran, encore un peu. Le temps de me ressaisir, de ramasser mes morceaux, de me reconstituer. Le temps de guérir. De me guérir de lui et d’apaiser cette douleur qui m’empêche d’être libre de lui, de l’autre qui prenait sa place avant lui, de remplacer ce vide par un autre, tout simplement libre, pour la première fois de ma vie.
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Tuesday, April 24, 2007
Christophe XI
Avant de pousser la dernière porte qui nous sépare de la froidure, Christophe revêt ses gants, puis enfile un long manteau de laine noir. Je passe mon écharpe par-dessus ma tête et l’enroule autour de mon cou. Je le regarde sortir les clés de sa poche puis s’emmitoufler comme il faut, puisqu’il est comme ça, Christophe, très comme il faut, c’est le gentilhomme chic, première classe s’il vous plaît merci, son accent parisien à couper au couteau ne trompe pas. J’adore les européens. Tellement classe. Ils me transportent tellement loin de chez moi. J'en oublie qui je suis. Allons-y, je suis prêt, il pousse la porte, me laisse passer devant, encore affairée avec cette écharpe autour de mon cou, referme derrière nous et verrouille les deux serrures. On n’est jamais trop prudent dans ce quartier ma mignonne, puis nous nous engageons sur la rue Laurier, direction ouest, main dans la main. Gantées, of course.
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Tuesday, April 17, 2007
Christophe X
Ce sont mes parents, après tout. C’est tout. Ce n’est pas de tes affaires. Ne me parles pas de ça, Christophe, je ne voulais pas et pourtant je t’ai laissé m’entraîner là ou je n’avais pas envie d’aller. J’ai versé quelques larmes sans trop savoir pourquoi, inspiré à fond, puis, éclaté en sanglots. Comment fait-on pour exister dans l’absence du regard d'un père? Des pleurs beaucoup trop violents pour une blessure dont je prétendais ignorer l’existence. Tu n’as pas besoin de me répondre, je ne veux surtout pas que tu pleures. Trop tard Christophe. Je voulais bien, moi. Et puis maintenant que tu me regardes, c’est beaucoup plus facile. Bon, oui j’ai pleuré, pas beaucoup, mais c’est toi qui a ouvert la porte, et profité de l’occasion pour m’ouvrir les bras. C’est ce que tu voulais, non? Tu as tout mis en place, tout était là. Allez, pleure, ça va te faire du bien, là, là, je suis là, C’était si bon de pleurer, je n’ai pas eu besoin d’un prétexte mais seulement d’un lieu, et puis ce n’était pas pour les raisons que tu croyais, l’intransigeance de mon père et l’inertie de ma mère, mais moi, j’y crois encore. Je suis encore aux prises dans ce triangle. Il me semblait que nous nous éloignions du sujet mais je ne me souvenait plus du tout de quoi nous parlions, Christophe a fixé le vide pendant quelques secondes, jeté sa cigarette dans le feu puis a regardé sa montre, on doit se dépêcher, notre table doit être prête à l’heure qu’il est. J’ai baissé les yeux pour fixer le plancher de bois et mes orteils qui se tortillaient dans mes bottes. Je crois bien que j’ai fait une maille dans mes bas.
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Friday, April 13, 2007
Christophe IX
Christophe pouffe de rire. Ton quoi? Tu veux dire, ton petit ami? Ma foi, ma mignonne, on jurerait que tu as seize ans. Tous deux installés sur le canapé, moi, confortablement inconfortable, les orteils recroquevillés dans les bottes, attendant de voir ce qu’il va répondre, et lui, solennel et silencieux tout à coup. Il me regarde, assis dos bien droit et jambes croisées, en essayant de se défaire de son érection, bouleversé par la candeur de mes propos à la suite d’une mise en scène pour adultes seulement, perplexe devant une question aussi simpliste venant d’une femme aussi complexe, mais amusé de ma minauderie gamine. Question simple, oui, mais dont la réponse pourrait teinter le reste de la soirée ainsi que notre « relation ». Il fixe nonchalamment une vieille tache de vin rouge sur la carpette indienne, probablement une coupe renversée, ce n’était pas moi, je m’en souviendrais, sans trop savoir quoi répondre. Ce n’est pas facile de rester sur la frontière; on aime ou on s’en fout, on dit oui et l’on ment ou on dit non et ça s’arrête comme ça, bêtement, personne n’aime les douches froides, il m’a demandé doucement si ça me dérangeait qu’il s’allume une cigarette, non, tu es chez toi après tout, mais merci quand même de te soucier de ma sensibilité au tabac, puis je me suis calée encore plus profondément dans les coussins du canapé en frottant mes pieds ensemble, jusqu'à ce que le cuir de mes bottes se mette à grincer. Il s’est agenouillé devant le foyer, s’est allumé une cigarette, puis, a pris une bouffée en plissant les yeux puis expiré lentement les volutes de nicotine vers l’âtre de la cheminée. Je le sens nerveux, fébrile, attends, c’était peut-être moi finalement, nerveuse, fébrile, insecure little girl, et puis pendant que je le regarde fumer et réfléchir, j’écris mentalement des fragments qui m’empêchent de penser à ce que je ne veux pas voir.
Dis-moi
Je te prends
Je te veux
Je te choisis
Je te protèges
Je t’a i m e
Il a terminé sa cigarette, puis se rassois sur le canapé et pose sa main sur ma cuisse. Il me demande de lui parler de moi, de ma vie de divorcée, de mère monoparentale, rien sur ma carrière de traductrice, d’écrivaine, il n’en a rien à foutre c’est ce que je crois, ça ne l’intéresse pas cette facette de ma vie, il me pose des questions sur mon rôle de fille aînée, s’intéresse à mes parents, mais surtout à mon père.
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Tuesday, April 10, 2007
Christophe IIX
Évidemment, ce n’est pas une histoire de maîtresse débrouillarde et pragmatique tirant les ficelles derrière le rideau des fantasmes de ses amants que je lui ai racontée. Ce n’était pas ce qu’il voulait entendre. Non, je lui ai plutôt raconté l’histoire de la femme prise au dépourvu devant la complexité des exigences de son amant et qui tâchait de le satisfaire du mieux qu’elle pouvait et s’était mise dans l’embarras. Je ne savais pas comment faire, Christophe, tu t’imagines…j’ai dû m’arrêter devant chez toi, déposer toutes mes choses par terre afin de retirer mon slip, relever ma jupe mais pas trop, juste assez, j’avais de la difficulté à atteindre la taille en dessous de mon manteau, à enlever mon string, les lèvres dénudées de mon sexe en proie au froid glacial, à prendre garde de ne pas dérouler mes stay-ups, à ne pas tomber en passant la bande de dentelle élastique autour des talons de mes bottes, et ces gens choqués sur le trottoir, et ton voisin, qui me regardait les yeux exorbités du haut de sa fenêtre, il devait se masturber le cochon, comme il le fait habituellement de chez lui, à nous écouter derrière le mur de ta chambre au cours de nos ébats bruyants du week-end, c’est toi qui m’en a parlé, ça te fait jouir de savoir que ton voisin t’écoutes quand tu baises, tu me demandes toujours de crier plus fort, tu t’imagines, et tous ces cuistots prenant leur pause-cigarette à l’arrière du restaurant thaïlandais avec vue sur ta chambre à coucher, tous, ils me regardaient enlever mon slip en se donnant des coups de coude et en rigolant, quels porcs, ceux-là, je faisais semblant que personne ne me voyait, je faisais l’innocente mais je savais bien qu’ils étaient tous en train de bander et de saliver à me regarder en train de me dénuder les fesses à moins vingt degrés, la salope, that horny bitch qu’ils devaient se répéter, et tout ça parce que je voulais te faire plaisir Christophe, j’étais très embarrassée, j’avais honte, j’en aurais pleuré, mais rien n’y paraissait, si tu veux savoir, j’affichais un sourire coquin, j’avais l’air d’y prendre plaisir dans mon histoire alors qu’en réalité personne ne m’a vue, j’avais prévu le coup, on ne me la fait pas à moi, c’est moi qui tire les ficelles alors c’est ce que je te raconte, et tu m’écoutes attentivement, tu marches à fond dans ce délire fantasmatique que tu m’as demandé de créer et voilà, je l’ai fait, c’est ce que j’ai fait, pour toi, pour t’exciter, te faire bander, pour que tu sois content et que tu m’aimes un peu, et que tu prennes soin de moi.
S’il te plait.
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Thursday, March 29, 2007
Christophe (VII)
L’appartement de Christophe est immense; c’est une ancienne école de formation pour infirmières du début de siècle. Christophe a acheté l’immeuble il y a quelques années avant de le rénover et d’en faire deux condos. Le sien, situé à l’étage, compte au moins 7 pièces. La plus grande, dans laquelle nous nous trouvons, la cuisine/salle à manger/salon, est la plus spacieuse. Toutes les boiseries sont d’origine, ainsi que les planchers de pin. J’adore ces planchers. Mes pas y résonnent comme nulle part ailleurs. Je m’avance dans la pièce. Il y a un feu dans la cheminée, de la musique joue, je crois reconnaître Bach mais je n’en suis pas certaine, je ne m’y connais pas vraiment en musique classique, un seau à glace contenant une bouteille déjà entamée et une coupe vide qui n’attend que d’être remplie sont déposés sur la table à café. Je suppose qu’elle est à moi. Mon regard se promène sur les nombreuses photos en noir et blanc accrochées aux murs. Il s’agit de photos de corps, ou plutôt de morceaux de corps, car on n’en voit que certaines parties. C’est un jeu de trompe-l’œil. Ce sont des photos suggestives de près, mais de loin, elle ont l’air de montrer autres chose. Des bouts de seins qui s’échappent d’un décolleté plongeant, des poignets liés par des cordes, des hanches bien rondes entre des mains d’hommes, toutes en noir et blanc. Ces photos sont toutes soigneusement encadrées et disposées en damier sur le mur du fond de l’appartement. L’effet est saisissant. Mon regard se fixe sur l’une d’entre elles, au centre. On y voit une bouche de femme, grande ouverte, lèvres que je devine peintes en rouge, et le bout d’un sexe masculin en érection apparaît dans le coin inférieur droit. De loin, avec l’effet de la perspective, on jurerait que c’est un gros plan d’une femme hurlant dans un micro. Je me fais la réflexion qu’il ne doit pas y avoir souvent d’enfants en visite dans cet appartement pour y exposer de telles photos.
J’entends Christophe, ses pas sont feutrés, il est chaussé de pantoufles. Il s’approche de moi, tu as bien fait ça, j’ai mis tes choses dans la chambre, raconte-moi comment tu as fait pour retirer ton slip, tu as été rapide, dis-donc – il m’offre du vin, bien sûr, j’accepte, l’alcool me fera le plus grand bien, il en verse délicatement dans la coupe vide sur la table à café, puis va chercher la sienne. Je lui souris, je suis nerveuse mais je ne crois pas le montrer, je bois mon vin d’un trait et dépose à nouveau la coupe sur la table, vide, déjà. Christophe y verse encore du vin, ma parole, tu es assoiffée, il est content mais inquisiteur, il attend, je reprends la coupe de ma main droite et nous portons un toast à ma réponse qui ne saurait tarder, Christophe me fixe droit dans les yeux, et moi je me surprend à baisser aussitôt le regard pour fixer mes pieds.
Mais qu’est-ce que je fous?
Je suis belle, désirée, et c’est comme ça qu’il faut que je sois, c’est ce que je veux, non? Je relève la tête, il attend ma réponse, j’ai peur, Christophe sourit et a les tempes grisonnantes, ça me rassure. Tu es belle, il me dit. La musique m’enivre, le vin est délicieux, mes sens s’engourdissent doucement, la chaleur du feu est bonne et mes cuisses se réchauffent peu à peu. Christophe s’assied sur le canapé et me fait signe de m’asseoir près de lui en tapotant sa main sur le coussin. Viens ici.
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Saturday, March 24, 2007
Christophe (VI)
De toute façon, avant même d’accepter de me plier à ses exigences, j’avais déjà mon plan B en tête, et je souriais à l’idée que je réussirais à le déjouer. Je suis accoutumée aux victoires faciles et à remporter les matchs sans trop d’efforts, et l’occasion était trop belle pour refuser. Je me mobilise jusqu’à la victoire, jusqu'à ce que l’adversaire reconnaisse qu’il m’a sous-estimée. Vaincre l’adversaire tout en feignant sa propre défaite demande un sens de l’analyse rigoureux et une vision à long-terme que j’aiguise depuis l’adolescence. Et puis je ne grogne pas, moi. Quand je mords, c’est pour ne lâcher prise qu’avec le morceau de chair entre les dents. Je prévois les coups et jette de la poudre aux yeux pour que l’adversaire s’enorgueillisse de ses petits succès jusqu’à en perdre le sens du combat. Je vois loin. Et j’attends. J’attends patiemment le bon moment pour déclamer ma victoire haut et fort. Qui de nous deux gagne, au bout du compte? C’est moi, ça ne peut être que moi. Je gagne ou je ne joue plus. Je gagne ou je tue. Je gagne ou je meurs. J’aveugle l’adversaire par l’euphorie de sa victoire, puis je l’accule au pied du mur. Sa victoire a un prix. Je l’ai laissé gagné, maintenant, je le fais payer. Il paie, et donc je gagne. Fin de la partie. Mon ultime stratégie militaire est de perdre volontairement mes batailles afin de mieux gagner la guerre. La guerre de quoi, la guerre de moi, je ne sais trop.
À nous deux, Christophe.
Je traverse la rue, en faisant bien attention de ne pas glisser, je porte des bottes à talons tout de même, et la froidure me pince les cuisses et les fesses, nues sous ma jupe. Devant la porte du condo de Christophe, je dépose mes sacs sur le trottoir, et j’appuie sur le commutateur de l’interphone afin de l'avertir que je suis arrivée. Il est 18 h 56.
-Oui?
-C’est moi, Christophe.
-Tu as fait ce que je t’ai demandé?
-Bien sûr! Tu m’ouvres? On se les gèle! Et ce n’est pas métaphorique!
-Bien. Montes, alors!
Le timbre de la sonnette retentit, déverrouillant d’un coup afin que je puisse monter chez Christophe. Je pousse la porte, et la main dessus, je me retourne afin de prendre mes sacs, de me les accrocher à l’épaule tout en laissant la porte ouverte à l’aide de mon postérieur en proie à la froidure, je me retourne à nouveau, j’entre dans le vestibule, referme la porte, et rapidement, d’un seul geste, glisse ma main sous ma jupe et retire mon string caché entre mes cuisses en le gardant bien au chaud au creux de ma main. Chaud et humide, qu’il a dit Christophe. Il va être servi, parce que de toute évidence, malgré le froid qui ronge, ça m’excite, ce petit jeu. Je monte lentement les escaliers, sourire coquin, le cœur battant d’excitation, en faisant résonner mes talons à chaque marche. Christophe a laissé la porte de son appartement entrouverte. Arrivée en haut des escaliers, je la pousse doucement et j’entre chez lui.
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Wednesday, March 21, 2007
Christophe (V)
En effet, comment puis-je oublier ?
Lorsqu’il m’a fait part de sa demande, j’ai failli pouffer de rire avant de me rendre compte qu’il ne blaguait pas. Il prend un peu trop au sérieux ces jeux sexuels auxquels nous nous adonnons. Je crois qu’il s’agit pour lui d’une sorte de rituel initiatique alors que pour moi, ce n’est qu’un jeu. L’effet que ces jeux ont sur Christophe me branche plus que le jeu en question. Disons que j’ai accepté de satisfaire à sa demande à la fois parce qu’il s’agit d’une entente tacite entre nous, il me demande de lui obéir et je lui dit oui, mais aussi parce qu’a chaque fois, je suis curieuse de voir les résultats. Et puis aussi par défi. J’aime bien lui faire croire qu’il peut jouer avec moi alors qu’il n’en est rien. Il ne sait pas que c’est moi qui joue. Je fais semblant. Constater qu’il croit me mettre dans l’embarras est très amusant. Il ne me connaît pas encore suffisamment pour savoir que je prends tout au pied de la lettre, et c’est habituellement pour tourner les situations à mon avantage. Désobéir tout en n’enfreignant pas les lois est un plaisir dont je me suis trop longtemps privée, tout comme les jeux, d’ailleurs. J’adore jouer. Je ne m’en prive plus.
Avant de t’engager dans l’escalier pour venir chez moi, je veux que tu enlèves ta petite culotte et que tu me la remettes entre les mains dès que tu entreras chez moi. Je veux qu’elle soit encore chaude et humide quand tu me la rendras, avant même d’enlever ton manteau, alors tu devras la porter pendant toute la durée de ton trajet jusqu’ici, et l’enlever devant chez moi, sur le trottoir, tout juste avant de me la remettre.
D’accord. C’est ce que je lui ai répondu. D’accord. J’ai feint d’être contrariée. Je ne sais pas pourquoi. Je crois que c’est ce qu’il voulait, que je sois contrariée, que ça m’embarrasse. Il aime ça, le cochon. Ça le fait bander. Go figure. Je l’imaginais très bien, à l’autre bout du fil, en train de m’imaginer debout, devant sa porte, plantée sur le trottoir de la rue Laurier, empêtrée dans mes bagages, le souffle visible dans le froid de février, sous la faible lumière des réverbères, à tenter de retirer ma petite culotte sans attirer les regards des passants, le g-string pris dans les talons hauts, en rougissant de honte de m’humilier ainsi afin de lui faire plaisir…et moi je lui ai dit oui. Oui, Christophe. J’ai accepté de lui obéir. Je ne lui ai pas dit de se faire foutre, ni refusé de le voir.
J’ai dit d’accord.
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Monday, March 12, 2007
Christophe (IV)
J’ai garé la voiture directement en face du condo de Christophe. J’ai de la chance. Je n’aurai pas à tournoyer pendant une demi-heure autour du pâté de maison, ni à faire attendre Christophe. J’ai déniché un stationnement inconnu des fêtards de la rue St-Laurent et boudé par les résidents du quartier, entre deux conteneurs à déchets, près de l’église et derrière le restaurant Thaï dont Christophe m’a parlé afin de bien s’assurer que je n’y aille pas. De son balcon, il peut voir ce qui se passe derrière le restaurant, et je n’ai pas demandé à en savoir plus. Je le crois. Le seul problème, c’est qu’en sortant de ma voiture, je dois faire beaucoup de bruit pour effrayer temporairement les rats engraissés aux vieux restants de rouleaux de printemps afin qu’ils ne m’importunent pas alors que je sors de ma voiture. Je n’ai jamais eu la désagréable surprise de tomber face à face avec l’un d’eux, mais je n’ai pas la moindre envie de prendre la chance. Les souris et les rats me font faire des cauchemars horribles, les femmes ont toujours eu peur des souris, c’est bien connu, ils me font revisiter mes souvenirs de femme au foyer, je fais mon lavage, dans ma maison de banlieue générique, et là, tout au fond de la salle de lavage, parmi le linge sale, une souris! Quelle horreur! AAARGH! Je crie, je hurle, au secours, aidez-moi quelqu’un, alors pour ne pas que ça arrive, je fais tout un tabac dès que j’ouvre la portière de la voiture, je chante, Ginette Reno, pourquoi pas, Au fil de l’eau, on voit son âââââme…avec le temps…on devient fââaaâmme… Je m’extirpe de la voiture avec difficulté, la ceinture de sécurité s’emmêle dans mon manteau, mes bas stay-ups se déroulent d’un seul trait long de mes cuisses, quelle invention diabolique que ces bas de merde, s’ils n’étaient pas si sexy j’en ferais des attaches pour sacs à ordures, je fait claquer mes talons pour effrayer les rats, je brasse mes bagages, je fais du bruit. Cette expérience devient de plus en plus complexe, je relève mes bas en prenant soin de ne pas y faire d’accroc et tant qu’a être sous ma jupe, je vérifie que mon string supplémentaire se trouve bien au chaud entre mes cuisses, tout est en place. Je suis maintenant debout, à côté de ma voiture, et je tente de tout transporter d’un seul coup. Tout est là : mon bagage pour le week-end avec tout ce que Christophe m’a demandé, ma caméra numérique, mon sac à main. Je prends tout sur mes épaules, et je verrouille les portières en cliquant sur mon porte-clé. La réservation est à 7 h 30 pile, ne soit surtout pas en retard m’a dit Christophe au téléphone avant que je ne quitte l’appartement. Et n’oublie pas ce que je t’ai demandé de faire... Mais non, mais non, Christophe, je n’oublierai pas.
Comment puis-je oublier ?
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Tuesday, March 06, 2007
Christophe (III)
J’ai regardé par la fenêtre pour vérifier si la pimpante animatrice ne se trompait pas. Non, pas de neige qu’elle a dit, du moins pour les prochaines vingt-quatre heures. Pas de neige, mais du froid. Une vague de froid intense, changeant Montréal en patinoire et les Montréalaises mal vêtues en statues de glace. Si vous n’avez pas besoin de sortir, restez chez-vous, qu’elle disait. Si elle avait su se faire plus convaincante et moins moralisatrice, j’aurais sûrement accordé plus d’attention à ses propos. « Mange d’la colle, tête de poule! » Je lui ai tiré la langue, ce n’est certainement pas elle qui va me faire changer d’idée. Vous devez comprendre qu’en vivant seule avec des enfants, on en vient à se créer des colocataires compréhensifs et patients; miss météo à tuque rose ne m’a jamais menacée de ne pas payer sa part de loyer ou de me quitter à force de subir mes sautes d’humeur. Elle est toujours de bonne humeur et se fait rassurante quand le temps se gâte, et puis quand elle m’énerve, je lui ferme le clapet en appuyant sur « mute ». Elle est géniale, miss météo. Je dois maintenant me dépêcher; j’ai rendez-vous chez Christophe à 7h au centre-ville, je ne suis pas tout à fait prête et je dois calculer environ vingt-cinq minutes pour traverser le pont et me rendre dans le mile-end.
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Tuesday, February 27, 2007
Christophe (II)
Les bottes enfilées, je peux maintenant me vêtir décemment. Je choisis une jupe de laine noire, évasée et un chemisier de coton blanc. Mon soutien-gorge lilas se fait discret mais est tout de même visible sous le coton blanc. C’est voulu. Je me dirige vers le salon afin de vérifier le temps qu’il fait et celui qu’il fera demain. Je lève le store de la fenêtre du salon. Il ne neige pas, du moins pas encore. Les trottoirs semblent toujours aussi glacés, par contre. Je regarde mes pieds. Se chausser ainsi ne semble pas, à première vue, une excellente idée. Surtout en plein hiver, au lendemain d’une tempête de verglas. Ce n’est pas logique. Dépourvu de sens. Mais c’est conséquent avec moi-même. Je voudrais qu’on me contrarie, que l’on me dise que ça n’avait tout simplement pas de bons sens. Mais voilà, pas de chance, je suis toute seule dans mon 5 ½ et personne ne contestera mon choix insensé. Ridicule, voyons ! Tu vas te péter solidement la gueule, te tordre une cheville, te geler les orteils, te ramasser à l’hôpital! C’est vrai. Je sais tout ça. Je prend le risque. Si j’étais une femme raisonnable, sensée et prévoyante, je laisserais les bottes à talons dans la garde-robe, et j’enfilerais mes bottines d’hiver à crampons. Mon côté pratique l’emporterait sur ma coquetterie. Mais, que voulez-vous, je suis comme ça. Je n’ai jamais été une grande fanatique de la logique, de la raison ni de la prévoyance. Coup de cœur et spontanéité ont toujours été mes mantras, et l’esprit de contradiction règne en maître chez moi. Alors, comme j’étais seule à la maison et qu’il n’y avait personne pour me dire que j’étais folle de sortir ainsi chaussée, j’ai allumé la télé et syntonisé la chaîne Météomédia, en quête d’un avis rassurant, ou tout le moins une preuve tangible de mon étourderie.
Je voulais m’assurer des prévisions météorologiques. Une blonde à la voix nasillarde, qui porte le même prénom que ma mère, usait de son charme à vulgariser pour un public néophyte le fonctionnement du système dépressionnaire. « Le Québec est sous un dôme d’air arctique. » Elle faisait un petit chapeau avec sa main droite et la plaçait au-dessus de sa main gauche, en l’agitant dans un mouvement de va et vient. « Le refroidissement éolien cinglant se fera surtout sentir près du Labrador, où les vents seront particulièrement présents. » Elle traçait énergiquement des cercles autour du Labrador sur une carte géographique, à l’aide d’un crayon magnétique. Nous, téléspectatrices, pouvions voir ces graphiques en gros plan et en couleurs sur notre écran. Le Québec était d’un beau bleu royal s’adoucissant vers le bleu vert plus au sud. « Le vent continuera de croître sur les régions du nord et soufflera de plus belle sur Montréal et les environs, de telle sorte que le refroidissement se fera plus incisif ce soir. » Elle dessinait maintenant de longs traits gras, du haut vers le bas, de sorte qu’il y avait maintenant sur l’écran quelque chose ressemblant à un tronc d’arbre coupé. « Il ne neigera pas d’ici les prochaines vingt-quatre à quarante-huit heures, mais le froid sera intense. Ne sortez pas inutilement et si vous le faites, portez un chapeau! » L’animatrice avait maintenant sorti une énorme tuque de laine rose d’on ne sait trop ou, c’est la magie de la télé, et s’en était affublée. Elle trouvait bien amusante cette façon de terminer son bulletin, les miss météo portent toutes des chapeaux, me suis-je dit, et elle nous souhaitait une bonne soirée à travers ses gloussements. Je suppose qu’elle trouvait rigolote l’idée de porter une tuque rose dans un studio télé. L’horloge numérique à l’écran indiquait 6h06, il faisait présentement moins dix-sept degrés, moins vingt-huit avec le facteur vent, et le bulletin de météo nous avait été présenté grâce à « Sinutab. Pour mieux respirer quand on ne peut plus sentir. » Et un gros nez que l’on devinait morveux apparaissait à l’écran.
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