Sunday, January 07, 2007

Le Passeur, introduction

"Je me présente, Sophie Lafleur. Je suis traductrice, écrivaine, maman, épouse et trentenaire, entre autres. Je traverse présentement une crise existentielle plutôt violente que je réussis à garder sous contrôle en écrivant de la fiction. Laissez-moi vous expliquer. Voyez-vous, il n’y a pas bien longtemps, je travaillais à la traduction de paroles de chansons pour une compagnie de disques (des chansons de nunuches anglophones que la compagnie voulait transformer en refrains de midinettes françaises) et j’ai fait la connaissance d’un musicien, ingénieur de son de son métier, qui m’a tapé dans l’œil, c’est le moins qu’on puisse dire. Il est rapidement devenu mon amant (mon premier parmi tant d’autres, je vous raconterai) et depuis cette rencontre, je mène une double vie, si l’on veut. Tout en poursuivant mes activités de mère, d’épouse (de Lee, mon ingénieur anglophone de mari), de traductrice et de maîtresse, (oui, car je suis la maîtresse de mon amant, cette histoire devient de plus en plus tordue finalement) j’écris un roman. Je ne peux pas vous en dire plus à ce sujet, sauf qu’il s’agit de mon deuxième, le premier n’ayant jamais été publié pour des raisons que j’ignore.

Non, je ne suis pas celle que vous croyez.

En vous répétant cette phrase, je vois des femmes, toutes alignées les unes derrière les autres dans les coulisses d’un théâtre, défiler à la suite sur une scène dépouillée, devant une salle vide, chacune attendant le moment de décrier cette phrase à sa manière. Certaines la crient : JE NE SUIS PAS CELLE QUE VOUS CROYEZ! D’autres la pleurent, dramatiques à souhait, je ne suis pas cellllle que vous croyeeeez…D’autres s’esclaffent, la répètent à voix haute tout d’un trait, défiantes, en riant, puis quittent la scène sans en faire une. D’autres, comme moi, s’éternisent, choisissent de l’écrire, tout simplement, et de regarder passer les autres. Chacune son tour, une à une, je ne suis pas celle…je ne suis pas celle…SUIVANTE ! Je ne suis pas celle que vous croyez, et ainsi de suite, de toutes les couleurs, encore une, ad nauséam, à chaque fois la même phrase, différente, la même phrase. Nous y tenons toutes, à ces mots. Même les plus obéissantes d’entres nous refoulons en elles-mêmes la conviction de ne pas être celle que vous croyez.
Je vous avertis tout de suite, mesdames. L’histoire que vous vous apprêtez à lire en est une de vérités et de mensonges, de tromperies et d’aveux, de confessions et de dissimulations, mais surtout, surtout, d’incertitudes et de doutes. Un peu comme la vie, la vraie. Pas celle des romans. Celle qui fait mal et qui laisse des traces. Vous vous retrouverez sûrement dans cette histoire, vous n’aurez aucune peine à vous identifier à l’une ou l’autre des héroïnes, puisque c’est aussi de votre histoire à vous qu’il s’agit. N’est-ce pas le propre des lectrices de romans de filles de se projeter dans l’héroïne ? Peut-être suis-je prétentieuse de croire que l’histoire que je vais vous raconter pourrait arriver à n’importe laquelle d’entre nous, qu’elle se passe, des centaines, des milliers de fois sans que l’on sache qu’on n’est pas la seule à se la raconter, à se faire raconter la même histoire. J’ai déjà entendu qu’un écrivain passait sa vie à écrire la même histoire; qu’en est-il de la vie ayant précédé l’écriture? De la vie pendant l’écriture ? Est-ce qu’un écrivain passe sa vie à se répéter ?

Je vous l’ai peut-être volée, votre histoire, alors que vous ne regardiez pas. Lorsque vous ne faisiez pas attention à ce qui se passait autour de vous, que votre nez se trouvait un peu trop près de la vitre, un peu comme moi lorsque j’ai décidé d’écrire ma version de l’histoire. Peut-être sommes-nous toutes en train de mener la même vie et on ne le sait pas ! C’est le propre de l’écriture, finalement; nous vivons toutes la même vie ici, en même temps, dans le livre. Ne faites pas attention à moi, ne m’écoutez pas, je divague. C’est ce que je fais de ma vie, maintenant. Je divague. Je suis écrivaine, mais pour gagner ma vie, je traduis aussi. Une variation maîtrisée de la divagation du langage. J’ai déjà traduit des romans d’amour aussi, si on peut appeler ça des romans, mais maintenant je me consacre surtout à des traductions plus réalistes, plus terre à terre, je vous raconterai."

1 people had something to say:

Blue said...

Intéressant, Bridges, mais j'ai le cerveau en compote et je dois me coucher. Good night...