Monday, June 04, 2007

Christophe XV


C’est une jolie brunette, sans maquillage, visiblement amoureuse. Une assiette de saumon fumé décorée de tranches de citron frais a été déposée devant elle. Lui, un blondinet à la calvitie naissante qui me semble maladroit. Il pique sa fourchette dans un cœur d’artichaut. Je la vois découper un morceau de saumon, l’enrouler autour d’une câpre et le tendre à son compagnon. Hésitant, Il plisse le nez devant le poisson cru, et décline son offre en hochant la tête. Elle hausse les épaules, esquisse un sourire résigné et avale le saumon et la câpre. J’observe le serveur remplir les verres d’eau glacée. Veulent-ils d’autre pain non mais d’autre vin oui, une autre bouteille, certainement, et le serveur va la chercher. Je guette la brunette. Elle savoure la dernière lampée de vin, dépose sa coupe vide, déglutit, ferme les yeux. Elle ouvre la bouche et attend. Attends de voir si le poisson va mordre à défaut d’être mordu. Joue le jeu nom de Dieu, c’est ce qu’elle pense je crois. Entre ses dents le blondinet dépose un artichaut, qu’elle s’empresse de croquer avec délice. Une goutte d’huile aromatisée s’échappe de ses lèvres poupines, puis il l’essuie de son doigt en rigolant. Je suis ravie de le voir le porter immédiatement à sa bouche. C’est facile, trop facile, doit-il se dire. Le serveur revient, serviette blanche sur le bras, débouche le vin et remplit solennellement leurs coupes. Très bon elle dit, encore meilleur que l’autre, voit par toi-même c’est délicieux. Le blondinet porte la coupe à ses lèvres et acquiesce. Je jette un dernier coup d’œil à la brunette et au blondinet.

Je les trouve mignons. Je ne les envie pas. J’ouvre le menu à mon tour.

Alors que j’hésite entre la mesclun et la césar, je te raconte la saynète qui se déroule à quelques tables de nous, pendant que tu faisais la lumière sur les zuppa et les antipastos. Tandis que les mots s’échappent de ma bouche et que tu les captes des yeux, les serveurs s’affairent à garnir les corbeilles à pain, remplir les verres d’eau glacée, et moudre du poivre en grains au-dessus des assiettes fumantes. Tu me regardes, touché par ce petit récit impromptu et attendri devant mon sens de l’observation aiguisé et interprétatif. Tu me demandes doucement si je veux du vin chérie, et mets ta main sur la mienne. Nos doigts se croisent sur la table, entre la baguette et le plat d’olives noires. Oui, une pleine bouteille darling car je ne fais pas les choses à moitié et tu détestes les demi-mesures.

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