Tuesday, May 08, 2007

Une lettre au miroir

Musée Picasso, Paris, Août 2006




Montréal, février 2004



Chère amie,

Ginette Reno chantait :

Ça va mieux, ça va mieux
Je ne pense presque plus
À nous deux, à nous deux
Ça m'a pris du temps c'est vrai
Ce n'est pas encore ça mais
Ça va mieux, ça va mieux
Je n'ai plus besoin de toi
Ou si peu ou si peu
C'est moins fragile que l'on pense
Un cœur en convalescence

Ma chérie... Tu es en sevrage émotif... Et ça, c'est une conséquence de la dépendance affective. On devient dépendante affective quand ce qu'on ne peut pas obtenir prend toute la place dans notre vie, jusqu'a nous obséder, nous rendre folle, irrationnelle, dépressive. C'est un cercle vicieux duquel il est très difficile de sortir. Crois-moi, je sais de quoi je parle. Alors on compulsionne. Dans la drogue, l’alcool, la bouffe, (surtout les mets chinois) le cul. Moi, ma compulsion de choix, ce sont les hommes. Dans le plus fort de ma dépression, j’ai croqué amant par-dessus amant afin de combler ce gouffre de moi qui m'avalait de plus en plus. Tu sais, ce trou immense qui ne se remplit jamais? (Un jour, je m'y suis aventurée. Voici ce que j'y ai trouvé : une estime de moi plus que déficiente; un manque d'affection chronique; un grand besoin d'être admirée; un sentiment d'impuissance plus dévastateur que la bombe H; une mère me disant « Va pas dehors, le monde est méchant! Dangereux! » Un père réalisant à 55 ans que ce n'est pas en suivant les règles qu'on gagne au jeu; une tonne de livres hyper intéressants que je n'ai pas encore lus et une paire de sandales plate-formes à lacets de cuirs vernis qui me branchent en crisse.) Alors je baisais avec (tiens, lui là-bas) et je croyais que je me sentirais aimée, que le vide serait moins vide. HAAAAAAAAAA!

Bizarrement, c'est le contraire qui se produisait. Je me sentais encore plus nulle. Alors je recommençais. Ca m’a pris du temps avant de comprendre; quand on a des tendances masochistes, on se demande longtemps pourquoi on se fait mal et quand on le trouve, on se dit : Pourquoi arrêter? Avoue que c'est tentant : Croire, l'espace d'une nuit (ou d'un après-midi, ce qui était souvent mon cas) que quelqu'un va nous aimer et qu'à travers ce corps à corps dépourvu de sens, on sera enfin COMPLÈTE. ppppppppprrrrrrrrrrrrtttttttttt!!!!!! (Ca, c'est le bruit d'une grimace lente et juteuse.) BULLSHIIIIIIIT!!!!

Et je ne t'apprends rien en te disant que le sevrage, ça fait mal jusqu'en dedans des tripes; on finit même par croire qu'on va en mourir. Et surtout, ne pense pas que j’arrive à t’en parler de façon détachée; on est toutes la-dedans, dans ce rapport latent de dépendance affective, jusqu'au cou, et même quand on croit s'en sortir, voilà qu'on y retombe. C'est pour ça qu'on a besoin de ses copines pour se rappeler qu'on peut se suffire à soi-même, sans hommes... mais... on a TOUJOURS besoin de ses amies!!!!!

Je te comprends. On a beaucoup de choses en commun, toi et moi, qu'on a vécues de façon différente, sur des chemins de vies parallèles. Avec des hommes qui semblent diamétralement opposés mais qui se rejoignent sur bien des points. Ce vide que nous ressentons, nous le comblons avec l'écriture, la photo, la peinture, la danse, whatever. Si on a pas ça, Nath, on meurt, c'est tout. Et pour être morte, pas besoin que le cœur cesse de battre; j'ai été morte pendant 3 ans, et ce, même si j'ai donné la vie. Étrange, non? J'ai parfois l'impression que d'avoir donné naissance à mon fils m'a à la fois tuée et fait renaître. Faudra que j'explore ça à un moment donné.

C'est bien que tu aies téléphoné à James. Il te fait sentir bien, parce qu'il aime être avec toi et qu'il ne te demande rien. Juste d'être toi. Ca suffit. C'est beau, l'image que j'ai de toi marchant dans la neige avec cet homme qui te tient la taille. Il te trouve belle, et tu ris. C'est vrai que tu es belle quand tu ris. Il y a chez toi cette beauté tragique, un mélange de poussière d'étoile et de reflets des ténèbres. Une princesse / sorcière envoûtante. Un soleil noir.

Moi non plus je ne sais pas ce que je vais faire.
Moi aussi je me sens paralysée.
Moi aussi j'ai besoin de toi.

Accroche-toi, glisses pas, Hang on!

Je suis là.

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